En 2020, la pandémie du COVID a entraîné une accélération de la transformation digitale de pans entiers de notre économie, transformant nos comportements économiques et sociaux à bien des égards. Cependant, il serait réducteur de penser que ces transformations sont dues uniquement à cet épisode pandémique, en effet les tendances de fond étaient déjà là, mais nous n’en avions pas vu les conséquences.
Dans cet article, je vais essayer d’exprimer mon sentiment sur ces bouleversements, ma vision est personnelle et est sujette probablement à critique, mais j’espère qu’elle ouvrira le débat et permettra à chacun de se faire une opinion et d’exprimer en retour sa vision.
Pour se faire, il va me falloir donner ma compréhension de ce qu’a été internet à ces débuts.
Au début d’internet, le web avec son architecture décentralisée (les nodes), a permis une grande liberté, tant dans le domaine de l’innovation que de la liberté d’expression. La possibilité de toucher une cible plus importante par le biais du web est venue dans un second temps et a été vue comme un foisonnement de nouvelles opportunités.
Il faut tempérer cette vision en rappelant qu‘internet est sorti des labos de la DARPA (cet organisme de recherche de la Défense Américaine), et on peut donc supposer que les germes de l’internet d’aujourd’hui étaient déjà présent...
Au début d’internet, il y avait un nombre importants d’acteurs dans les moteurs de recherche, cette diversité présentait bien des avantages, même si parfois, il fallait en utiliser plusieurs pour s’assurer de balayer la toile le plus efficacement possible.
Il est vrai, que cet internet par bien des aspects n’était pas forcément aussi facilement accessible par tout à chacun, et qu’il était nécessaire d’avoir un minimum de connaissance dans le fonctionnement de l’informatique. Cependant cela a été perçu par les utilisateurs de l’époque, ces « geeks », comme un moment de liberté débridée, et cela a beaucoup bousculé des industries bien établies comme le cinéma et la location de vidéo, puis celui de la musique, notamment par le développement des sites de partage peer-to-peer. Et finalement, de ces confrontations sont nés les nouveaux géants industriels que sont les plateformes vidéo ou musicales de streaming…
Il est important de rappeler l’existence des cookies, leurs usages.
Avec internet, pour améliorer « l’expérience utilisateur » et collecter un certain nombre d’information est né le « Cookie », à l’origine un témoin de connexion (juin 1994 par Lou Montulli et John Giannandrea), avec le premier jet des spécifications des cookies pour Nestcape Navigator…
Ces cookies ont ensuite été intégrés à Internet Explorer 2, et ont donc été utilisés par l’ensemble des navigateurs. Dès 1996 et 1997, il y eu de nombreuses discussions aux Etats-Unis sur le risque que ces cookies faisaient peser sur les données privées. Nous verrons plus loin les impacts actuels de ces petits bouts de codes. Pour conclure sur les cookies, il faut juste distinguer les cookies techniques et absolument nécessaires au bon fonctionnement d’un site internet (jeton de sécurité, conserver les items sélectionnés dans un panier d’e-commerce à l’ouverture d’une future session, information technique permettant la diffusion de vidéo, etc.) de ceux que l’on qualifie de pistage et qui permettent de collecter tout un tas d’information sur vous et vos habitudes de navigation…
Quels ont été les changements fondamentaux du numérique et de son architecture sous-jacente l’internet depuis 20 ans ?
Dans le numérique, il est clair que les acteurs américains étaient dominants mais pas forcément hégémoniques, si ce n’est Microsoft avec sa suite Office installée sur la grande majorité des pc à usage professionnels ou personnels.
Cependant les choses ont changé avec l’arrivée de Google et de son moteur de recherche, un de plus ont pensé à cette époque nombre d’acteurs du numériques. La naissance de Google remonte à 1997, ce qui n’est pas si vieux. C’est en 1999 avec leur implantation à Moutain View que la folle aventure s’accélère et prend son envol avec une levée de fond de 25 millions de dollars. La qualité de l’algorithme et la façon de présenter les résultats entraînent une adhésion massive de ce moteur de recherche reléguant ses concurrents au rang de simples figurants. La mise en place de la publicité ciblée par mots clés a permis à l’entreprise de commencer à engranger du cash. Le développement des autres applications (Google suite, YouTube) avec en parallèle la collecte massive de données personnelles a permis à l’entreprise d’avoir une fabuleuse cash machine lui permettant d’investir massivement en R&D, avec aussi des partenariats avec la DARPA qui ne sont pas à négliger et probablement aussi avec la CIA… Tout cela leur a permis de devenir hégémonique tout du moins dans le camps occidental au niveau du moteur de recherche, et de se tailler une part croissante du marché des solutions collaboratives pour les entreprises.
Si on prend le développement d’Amazon et de Facebook, il y a beaucoup de similarité. Chacun de ces gros acteurs, par leurs besoins propres en serveurs ont développés des data centers gigantesques et performants permettant notamment à Amazon et Google de devenir des fournisseurs de cloud incontournables, avec Microsoft qui avait déjà une expérience solide du côté des serveurs et logiciels associés…
L’autre point commun de ces différents acteurs, est de collecter massivement les données de leurs utilisateurs par différents biais, notamment les données de navigation, permettant ainsi de profiler leurs utilisateurs et de prévoir en partie leurs comportements.
Mais il ne faut pas s’y tromper, leurs concurrents quelle que soit leur nationalité ont une propension à faire de même notamment pour les plateformes d’e-commerce…
Le dernier coup de boutoir qui a changé radicalement la façon de concevoir le numérique, en faisant croire que le numérique devenait comme l’électricité une commodité, a été l’émergence des offres cloud pour les entreprises.
L’ensemble de ces éléments, avec en face quelque soit le pays souvent des hommes politiques ne comprenant pas le fonctionnement les enjeux (hors US et Chine?) ont abouti à l’apparition d’oligopoles, à qui les lois antitrust pourtant en place n’ont pu réussir à imposer un démantèlement de ces mastodontes. Mais en avait-on seulement la volonté. Le résultat est un monde du numérique, hautement centralisé, internet compris, entre les mains d’acteurs en situation de quasi monopole !
Elles sont de plusieurs ordres. Je vais d’abord m’atteler à décrire les conséquences plutôt au niveau macro. Puis nous aborderont les conséquences à un niveau micro qui nous impactent directement d’un point de vue individuel et organisation sociétale.
Au niveau macro, la première observation est que cette concentration de moyens financiers et de données qui se traduit par une connaissance approfondie d’une grande partie de la population mondiale, donne un pouvoir inconsidéré et jamais atteint à une poignée d’entreprises notamment les géants du numérique américains, leur donnant directement ou indirectement plus de pouvoir et d’influence que bien des états.
Par ailleurs, le fait que les principaux acteurs du numériques notamment sur ce qui est cloud, réseaux sociaux, courriels ou messageries instantanées soient soit Chinois, soit Américains et que chacun de ces pays disposent de lois extraterritoriales qui leur permettent de mener des actions de guerre économique efficaces. Guerres économiques dans lesquelles de nombreuses multinationales européennes quelque soit le secteur, ont perdu de nombreuses plumes, voire ont pu être rachetée puis démantelée (Affaire Alstom). Sur la partie macro, on constate donc une hégémonie inacceptable, une dépendance aux technologies d’un nombre limité d’acteurs pour le moins problématique et enfin une exposition aux lois extraterritoriales permettant le pillage sans vergogne de nos entreprises et donc de nos savoir-faire…
Tout cela a des conséquences à ce que j’appelle un niveau micro, que l’on passe trop souvent sous silence, pour une raison simple, c’est que cela touche le tissu économique important mais morcelé que représentent les artisans, professions libérales et l’ensemble des TPE / TPI. Certains de nos acteurs économiques en ont fait l’amère expérience lors de l’épisode COVID au profit des grands acteurs qu’ils soient américains, français ou d’une autre nationalité.
Que s’est il passé ? Souvenons nous, face aux mesures de confinement, beaucoup d’entreprises marchandes ont dû passer rapidement à l’e-commerce. Cependant ces indépendants sont des revendeurs de produits qui viennent souvent de grandes marques, qui ont elles même des sites d’e-commerce… Lorsque des clients vont sur les places de marché de ces petits acteurs, comme celles proposées par la Poste, ils sont tracés, leur navigation est capturée par Amazon, Google et revendue aux entreprises qui le souhaitent pouvant faire ainsi des publicités ciblées à l’attention de ces clients avec des prix plus agressifs… Résultat des courses, non seulement ces petits commerces ont dû investir dans l’urgence mais ces outils de e-commerce ont bien souvent permis à de plus gros acteurs de siphonner leur clients potentiels.
De même, si on s’attarde sur le modèle d’Amazon, qui du point de vue de l’utilisateur a su mettre en place une qualité de service inégalée, on peut s’interroger sur un certains nombres de faits… Amazon a accès à l’ensemble des données de ses utilisateurs, quelle part, partage-t-elle avec ses partenaires ? La capacité de trouver les tendances d’un marché permet de proposer ses propres produits et de concurrencer efficacement tous les acteurs de sa place de marché concernés… Et s’il est vrai que cela permet à nombre de toutes petites entreprises de se lancer beaucoup plus facilement et dans un premier temps élargir sa visibilité et ses parts de marché, quid des effets de cette association sur son business à moyen et long terme ?
L’ensemble de ces éléments montrent qu’ainsi, après une concurrence plus ou moins déloyale avec les grandes surfaces, nos commerces de proximités souffrent pour la plupart de la généralisation de l’e-commerce principalement lié à ce que cette transformation numérique se fait par l’utilisation de ces grandes plateformes numériques et/ou places de marché en leur abandonnant toute la richesse de leurs données clients...
Ne serait-il donc pas temps de sortir de l’internet des BigTech, et ce quelle que soit leur nationalité, de faire éclore des solutions plus décentralisées et respectueuses de notre tissu économique local ? A défaut, de mon point de vue cela sera l‘ultime étape de la désertification et du manque d’attractivité de nos territoires ruraux ou péri-ruraux déjà durement touchés par la désindustrialisation.
Pour ma part je ne peux me résoudre à accepter que la seule solution soit de grandes mégalopoles concentrant l’ensemble des richesses et de la population dans un environnement déshumanisé et artificiel, au milieu de territoires désertiques et laissé à l’abandon.
Il existe une autre solution, retourner aux fondamentaux de l’internet initial, relocaliser le numérique, le reconnecter avec la vie réelle et s’attaquer aux trusts que sont devenus les géants du numérique, comme on a su le faire au 20me siècle vis-à-vis des géants du pétrole ! Si, on a été capable de le faire, il n’y a pas de raison de ne pas le faire maintenant, faut-il renforcer nos lois anti-trust et anti-monopole, ou tout simplement appliquer les outils déjà à notre disposition (article 86 au niveau de l’Europe) ?